Cet article décrit la conception de ce que nous avons appelé le “jardin-forêt”, espace de 2000 m² situé au coeur de notre terrain.
1 – Qu’est-ce qu’un jardin-forêt ?
Notre jardin-forêt, comme tous les autres, est un écosystème cultivé, une communauté de plantes et d’animaux, qui s’inspire des forêts naturelles en associant des plantes de tailles différentes, le plus souvent pérennes, dans le but de subvenir aux besoins humains.
Les arbres, fruitiers ou non, forment la canopée ; des arbustes de tous types constituent la strate intermédiaire ; les herbacées et les plantes grimpantes dont font partie le plus souvent les légumes perpétuels, ou encore les champignons forment les strates inférieures.
Certaines plantes sont choisies pour leurs productions (fruits, noix, légumes, bois, fourrage …) d’autres pour les services qu’elles rendent à l’écosystème.
L’ambition est de se rapprocher le plus possible de ce que fait la forêt :
- pas de travail du sol, pas de désherbage, pas d’intrant (pesticide, amendement) ;
- la fertilité est assurée par les plantes elles-mêmes : la forêt crée son sol ;
- les besoins en eau sont limités : la couverture du sol limite l’évaporation ; les plantes sont “éduquées” pour s’adapter aux conditions hydrologiques ; le système favorise le captage et le stockage de l’eau localement et peut même en produire pour son environnement ;
- les synergies se mettent en place à tous les niveaux : sur l’utilisation de l’eau et de la lumière, sur la fertilité, la résistance aux agresseurs …
2 – Pourquoi un jardin-forêt ?
La culture en jardin-forêt est très économe en ressources de tous types : ressources naturelles (eau, énergie, matières premières), travail ou encore machines.
Cette forme de culture favorise toutes les diversités :
- la biodiversité en misant sur la complexité plutôt que sur la simplification du vivant ;
- la diversités des productions, des sources de fertilité, de chauffage …
De façon générale, le jardin-forêt développe notre résilience :
- le système est plus autonome,
- moins sensible aux changements,
- la diversification des ressources permet de s’assurer qu’il y aura toujours quelque chose pour assurer notre subsistance.
Cette démarche permet aussi à l’homme de trouver une place plus sereine au sein de la nature puisqu’il s’agit essentiellement de laisser faire, d’accompagner les processus naturels, donc de leur faire confiance. C’est sans doute ce qui donne le sentiment de beauté, de paix intérieure ou d’harmonie dans un jardin-forêt.
La sylviculture est donc une voie d’avenir. Les pionniers en climat tempéré l’ont explorée au milieu du 20ème siècle et les jardins-forêts poussent un peu partout dans le monde aujourd’hui.
Il faut quand même avouer qu’il reste beaucoup de choses à faire pour développer la sylviculture : à la fois sur les techniques de cultures, sur la formation des personnes intéressées, sur l’utilisation des produits issus de la forêt, en cuisine en particulier, …
3 – Objectifs et contraintes chez nous
Chaque jardin-forêt est unique : il correspond aux aspirations de ceux qui le conçoivent et au lieu dans lequel il va se développer, à l’air du temps aussi sans doute …
Un jardin-forêt accueillant des légumes perpétuels
Nous avons conçu le nôtre en le centrant sur les légumes perpétuels : voici sans doute sa principale spécificité. Nous ne délaissons pas les fruitiers, petits et grands, mais nous souhaitons que ces légumes aient une place importante, d’autant plus importante que notre ambition va plus loin que la consommation familiale.
Notre question centrale : la culture de légumes perpétuels en jardin-forêt peut-elle être une voie crédible pour participer à la sécurité alimentaire d’une population ? Du point de vue du sylviculteur, jardinier de la forêt, comme de ceux qui se nourriront de ces légumes.
Ce point de départ a eu des implications assez fortes sur le design du jardin. Il faut en effet :
- laisser suffisamment de lumière pour les légumes donc positionner les arbres en conséquence,
- faire en sorte de minimiser l’entretien donc prévoir des associations durables entre légumes, couvre-sol, engrais verts …
- faciliter les récoltes donc essayer de regrouper les plantes sans pour autant reproduire les plates-bandes classiques.
Nos principes
Un certain nombre de principes nous guident aussi.
- Se rapprocher de l’écosystème local ou en tous cas faire en sorte que les plantes trouvent leur équilibre dans cet écosystème.
- Rechercher l’harmonie et la beauté : ces notions sont très vagues, dangereuses aussi, nous en avons conscience, car notre inconscient (le mien en particulier) a tendance à trouver beau ce qui est organisé. Il faut quand même avouer que ce soucis esthétique est important pour nous.
- Miser sur la diversité et laisser faire la nature : nous considérons, suivant en cela M. Fukuoka, que les mécanismes naturels sont infiniment complexes et qu’il est vain de vouloir tout contrôler. Cette volonté de contrôle s’est accompagnée dans nos sociétés d’une politique généralisée de simplification des cultures. Nous pensons qu’il faut faire exactement l’inverse : laisser s’installer ou favoriser la diversité et la complexité qui l’accompagne.
Conditions naturelles locales
Notre situation a déjà été évoquée dans notre page design du jardin. Voici les principaux points dont il a fallu tenir compte pour concevoir notre jardin-forêt.
Notre climat est assez continental : il fait froid en hiver et le matin très longtemps dans l’année ; il peut aussi faire très chaud en été ou l’après-midi. Cette situation ne devrait pas s’améliorer avec les bouleversements climatiques en cours, au contraire.
Nous sommes dans un couloir de vent, dans un fond de vallée ce qui explique aussi en partie les basses températures.
Il est donc très important pour nous de créer des micro-climats plus tempérés.
L’Auvézère qui coule au fond du terrain est une grande richesse et une grande chance pour nous : pour l’accès à l’eau évidemment et aussi comme source de biodiversité. Elle crée son propre micro-climat : lors des matins froids, il fait 5°C de plus en bord de rivière sous les arbres qu’au milieu du champ. Elle nous “gratifie” par contre de quelques inondations dont nous devons aussi tenir compte dans notre design.
Enfin, le sol n’est pas très riche : limoneux globalement, avec une profondeur très variable. Il est très fragile et assez pauvre en matière organique : ce constat est d’ailleurs à la source de nos pratiques de non travail du sol. Il est par contre très facile d’y creuser une mare par exemple 🙂
Aspects pratiques
Terminons par des considérations très concrètes.
Nous souhaitons, le plus possible adopter un design qui facilite la culture et les récoltes, dans un soucis d’efficacité notamment. Il a fallu penser à la circulation, à l’accès aux différentes zones …
Cet objectif est parfois contradictoire avec la recherche de diversité, de laisser faire ou d’harmonie mais nous essayons de mener tout cela de front, sans savoir encore si nous y arriverons …
4 – Design
Position sur le terrain
Le jardin-forêt est situé au cœur du terrain.
Il est protégé du vent par la haie brise-vent et le pré-verger au sud et surtout à l’ouest ; par les arbres de bord de rivière, la forêt-jardin et le chemin des trognes au nord.
Nous l’avons positionné le plus au sud possible sur le terrain pour qu’il soit le plus proche possible de la maison et de la serre et pour qu’il ne soit pas trop touché par les périodes d’inondations. Le nord du jardin-forêt reste assez bas et nous devrons y planter des arbres acceptant ces périodes d’humidité. Le sol est suffisamment drainant toutefois pour que les racines ne subissent pas trop longtemps la présence de l’eau.
Il est suffisamment bas pour qu’il soit possible de remplir la mare, par gravité, avec les eaux de pluies récoltées sur les toitures.
Nous avons aussi évité la zone de sol la moins profonde située dans la partie nord-est, sous la serre, dans la zone de “tests”.
Design simplifié
La partie nord du jardin-forêt forme un fer à cheval ouvert vers le sud. La mare se situe au centre.
Les arbres les plus grands se trouvent à l’extérieur et au nord. Ils sont de plus en plus petits en se rapprochant du sud et du centre de la forêt.
Cette configuration permet de piéger la lumière : les rayons du soleil sont réfléchis par la mare et piégés par les arbres du fer à cheval. Elle assure aussi une ultime protection contre le vent, créant au coeur du jardin-forêt une zone particulièrement tempérée.
Les zones de contact entre le chemin, la mare, la clairière qui l’entoure, les arbres, les strates basses à venir … forment autant de lisières. Nous avons essayé de multiplier ces lisières car elles sont particulièrement riches dans un écosystème : la végétation et la biodiversité semblent toujours plus foisonnantes dans ces bordures.
Enfin la forêt et la mare servent de tampons thermiques. En hiver, lorsque la température est négative, l’eau de la mare ne descend pas en dessous de 0°C. C’est l’inverse en été. Il en va de même pour les forêts.
La partie sud du jardin-forêt est positionnée pour laisser suffisamment d’espace et former une clairière qui permette au soleil d’atteindre la mare et la partie nord de la forêt. Du coup, les plus grands arbres sont plantés au sud, le plus loin possible de la partie nord. Nous adapterons la conduite des arbres en conséquence.
Les arbres sont positionnés sur des cercles dont les écartement ont été calculés pour laisser suffisamment d’espace pour circuler, pour permettre aux arbres de pousser naturellement tout en laissant des zones suffisamment ensoleillées pour faire pousser des légumes perpétuels.
Cette disposition, relativement régulière, bien que courbée, devrait aussi faciliter la mise en place de la strate basse.
Zoomons encore dans la partie nord. On s’aperçoit que les arbres principaux sont positionnés par groupe de trois formant une sorte de triangle : au sommet, vers le nord, un arbre fixateur d’azote qui aidera les autres plantes à pousser ; de part et d’autre, des arbres fruitiers le plus souvent, plus ou moins grands selon leur position. Ces arbres sont positionnés à 3,5 m les uns des autres en moyenne.
Cette disposition nous permet de laisser une zone “ouverte” vers le sud de chaque groupe d’arbre : cette zone accueillera les légumes perpétuels et les autres végétaux les plus héliophiles.
Au total … design densifié
Nous avons planté beaucoup plus d’arbres que ceux représentés sur le schéma précédent.
L’idée est de densifier fortement et rapidement la forêt. Fabrice Desjours décrit cette technique en détail dans son livre “Jardins-Forêts – Un nouvel art de vivre”. Il parle de plantes AFI (Architecturales, Fertilisantes et Ingénieurs), on pourrait aussi les appeler “plantes de services” ou plantes compagnes. Ces plantes ligneuses, en majorité locales, sont plantées en supplément pour faciliter le passage d’un pré à une jeune forêt.
Voici ce qu’apporte cette densification :
- augmentation de la biodiversité ;
- création d’une ambiance forestière : ombrage, tampon thermique, protection contre le vent …
- exploration et structuration du sol par les racines ;
- production de matière organique sur place soit naturellement lors de la chute des feuilles et des radicelles soit par la taille ou l’arrachage dans certains cas ;
- mise à disposition d’éléments fertilisants : azote capturé dans l’air par les plantes fixatrices, minéraux remontés des couches profondes du sol ;
- …
Autour des arbres principaux, nous avons donc planté, sur chaque ligne, un arbre tous les 1,5 m en moyenne, en utilisant certains porte-greffes comme plantes compagnes. Ces plantes ne sont pas forcément destinées à rester en place : les porte-greffes une fois greffés pourront être plantés ailleurs ; les plantes compagnes pourront être taillées ou “sacrifiées” si nécessaire.
5 – Choix des arbres
Au total, près de 150 arbres ont été plantés dans le seul jardin-forêt. 50 fruitiers “principaux” associés à 25 fixateurs d’azote. Les autres se répartissent entre porte-greffe en surplus et plantes compagnes de tous types.
Nous avons privilégié les petits arbres : parce qu’ils coûtent moins cher, parce qu’ils reprennent mieux et qu’ils vont plus facilement s’acclimater.
Nous avons aussi planté essentiellement des porte-greffes pour les futurs fruitiers, toujours pour les mêmes raisons. Certains seront greffés mais d’autres seront traités comme des plantes compagnes et laissés francs quitte à être taillés, déplacés ou supprimés par la suite.
Nous avons beaucoup échangé avec notre principal pépiniériste : Atmosvert. Walter et Kathleen ont été très disponibles. Leurs conseils avisés nous ont beaucoup inspiré, pas seulement pour le choix des arbres d’ailleurs, mais aussi dès la phase de design de notre lieu.
Principaux porte-greffe :
- Prunier à fleurs ‘Bois de Sainte Lucie’ – Prunus mahaleb (prunier, cerisier, pêcher)
- Pêcher à feuilles rouges ‘Rubira’ – Prunus persica Rubira (pêcher, abricotier, amandier)
- Prunier à fleurs Myrobolan – Prunus cerasifera (prunier, cerisier, abricotier)
- Cognassier de Provence – Cydonia oblonga (poirier)
- Poirier à fleurs – Pyrus calleryana (poirier)
Fruitiers greffés ou francs :
- Cerisier
- Poirier
- Prunier
- Goyavier du Brésil (Feijoa)
- Goji
- Yuzu – planté trop tôt, il n’a pas passé l’hiver 😢
- Asiminier (à venir)
- Amandier (à venir)
- Jujubier (à venir)
Plantes régénératrices et locales :
- Noisetier
- Charme
- Chêne
- Frêne
- Aubépine
Plantes fixatrices d’azote
- Chalef d’automne – Elaeagnus umbellata
- Olivier de Bohême – Elaeagnus angustifolia
- Goumi du Japon – Elaeagnus multiflora
- Arbre à petits pois (Caraganier) – Caragana arborescens
- Indigotier – Indigofera himalayensis
- Lespédèze – Lespedeza thunbergii
A suivre => Plantation du jardin-forêt : phase 1, la canopée
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