Design du jardin

Notre terrain s’étend sur deux hectares bordés au sud et à l’ouest par une petite route, au nord par l’Auvézère et à l’est par la propriété de nos voisins qui s’étend elle aussi jusqu’à la rivière.

Le design actuel est le résultat d’un long processus : nous avons beaucoup observé, testé, échangé. Nous nous sommes beaucoup trompés et nous tromperons encore. Mais à un moment il faut se lancer !

1 – Observation du lieu

La rivière

Au nord coule une rivière moyenne, l’Auvézère. C’est une chance pour de nombreuses raisons (accès à l’eau, biodiversité, …). Elle déborde souvent en hiver et reprend son ancien cours en coupant à travers champs. Cet ancien lit de la rivière est la zone la plus basse du lieu. Le terrain est donc en pente vers le nord avec un dénivelé de 2,5 mètres sur les 200 mètres de longueur. Cela peut nous permettre une récupération de l’eau de nos toitures de façon naturelle.

Par ailleurs en toutes saisons nous connaissons des rosées matinales très abondantes à cause de la rivière.

Les vents

Côté ouest nous recevons des vents dominants toute l’année. Cela crée un refroidissement très fort en hiver. Les températures hivernales sont presque comparables à celles d’une zone montagneuse si l’on ne coupe pas ces vents alors qu’en été ces dernières années furent très chaudes et sèches. Finalement nous connaissons des températures minimales proches de celles d’Aurillac pourtant nettement plus en montagne (zone de rusticité 7b).

Le soleil

Notre terrain est encore très dégagé car les microclimats sont en construction. Nous sommes donc en pleine exposition un peu partout sauf en bord de rivière où des chênes et peupliers très anciens déploient leurs ombres.

Le sol

Le terrain présente des qualités de sols assez similaires du nord vers le sud. Il s’agit d’une terre alluviale donc d’un sol limoneux mais de profondeur différente. Dans l’ancien lit de la rivière le sol est de 20 cm et en remontant vers le sud il atteint jusqu’à environ 1m.

Ce sol est fragile et une croûte de battance se forme assez facilement si l’on ne maintient pas un couvert végétal constant. Enfin le ph de ce terrain est plutôt neutre.

2 – Le design actuel

Notre design s’inspire de la logique du zonage en permaculture. Il s’agit de définir des zones en fonction de la quantité et de la qualité des soins qu’elles nécessitent.

Autour de la maison nous avons préservé une large zone pour les jeux des enfants et la détente que nous intégrons dans la zone 0 (zone de l’habitat quotidien). Ce choix éloigne d’emblée la zone 1 mais pour nous, il s’agit avant tout d’un lieu de vie familiale.

Les jardins commencent autour de cette zone 0. En première proximité, car ils demandent un soin quotidien, se trouvent le poulailler, le jardin potager, le jardin Mandala de vivaces et aromatiques ainsi que la serre. Ils constituent donc la zone 1.

Le potager et le Mandala sont les deux premiers jardins que nous avons créés. Le potager cultivé en sol vivant comprend quatre parcelles qui nous permettent d’organiser des rotations et de produire très largement pour la famille sur toute l’année. Progressivement nous y avons planté des haies fruitières sur toutes les bordures et des arbres se sont installés spontanément à l’intérieur. Nous leur avons donc laissé leur chance.

Le mandala est un jardin de vivaces et d’aromatiques que nous cultivons de façon plus sauvage et qui est très diversifié et productif. Il recèle beaucoup de senteurs et de couleurs notamment au printemps.

Récemment nous avons créé deux haies fruitières multiétagées ou micro jardin-forêt au sud, devant le potager. Ces deux haies, cultivées sur un sol préparé par une année de culture de courges, sont particulièrement soignées. Nous les utilisons comme nurserie pour les nombreuse variétés de légumes perpétuels que nous implanterons ensuite dans le jardin-forêt.

Au nord du Mandala se trouve la serre de semis qui nous sert aussi beaucoup d’espace de rangement puisqu’elle est au centre de tous les jardins.

Plus à l’ouest du mandala et de la serre se trouve le jardin-forêt. Les problématiques d’inondation, d’ensoleillement et la prise de conscience que ce jardin ne devait pas être trop loin de nous, ont déterminé son emplacement actuel. Initialement nous pensions l’implanter plus près de la zone sauvage mais il demande beaucoup de soins notamment au début, lors de son implantation dans la prairie. Il s’agit de la zone 2 dans notre zonage permaculturel.

Planté pour l’essentiel en 2019 directement dans la prairie nous y trouvons plusieurs dizaines d’arbres et une grands variété d’espèces. Nous nous sommes inspirés des variétés présentes dans la nature environnante pour ne pas entrer en contradiction avec le biotope. C’est pourquoi il ne s’agit pas d’un conservatoire d’espèces extraordinaires mais bien d’un jardin qui nous l’espérons sera résilient dans ce lieu. Il forme une spirale en escargot avec les plus grands arbres en arrière au nord et un peu aussi tout à fait au sud. Les plus petits et les plus fragiles des arbres sont donc vers le centre, proche de la mare creusée par la famille pendant le confinement du printemps 2020. Ce jardin-forêt sera progressivement complété par des strates inférieures notamment celle des légumes perpétuels. Nous pensons sacrifier certains arbres pour laisser place à des clairières nécessaires à l’implantation des strates basses. Un article est consacré à la conception de ce jardin-forêt.

Un peu plus au nord, demandant des soins moins récurrents, un petit champs qui pourrait entrer dans la rotation. Il constitue l’essentiel de notre zone 3.

Visité encore plus épisodiquement (zone 4), la forêt-jardin est différente du jardin-forêt car plus sauvage et les arbres y sont beaucoup plus espacés. Cette forêt recèle une sauleraie, un gros bosquet de bouleaux à sève, des arbres très pollinisateurs, des arbres sauvages endémiques… Ces grands arbres ne seront pas complétés par une strate basse mais ils seront laissés dans leur environnement naturel sauvage ou pâturés.

La séparation entre le jardin-forêt et la forêt-jardin est constituée d’un chemin large, bordé de part et d’autre de haies de trognes (saules, frênes, …) qui nous fourniront une belle quantité de matière organique utilisable au jardin-forêt ainsi que du bois de chauffage ou de la matière pour la vannerie par exemple.

Nous réservons enfin toute une partie à la préservation de la biodiversité (zone 5) et par conséquent nous la laissons aussi sauvage que possible. Il s’agit du bord de rivière, du coin nord-ouest et de tout le nord du jardin potager. Essentiellement sauvages, ces espaces constituent des micro écosystèmes extrêmement diversifiées dans lesquelles nous limitons au maximum nos interventions. Nous y avons seulement aménagé une zone pour la pêche qui est une pratique très ancienne à cet endroit précis. Par ailleurs une association locale luttant pour la préservation de la biodiversité et la survie des insectes pollinisateurs nous a proposé d’accueillir un rucher sauvage qu’il sera passionnant de voir évoluer.

En bordure de route (retour dans la zone 4) une large haie coupe-vents longe tout le côté ouest. Elle est constituée d’essences d’arbres endémiques mis à part quelques cultivars de noisetiers, eleagnus et châtaigniers qui nous offrirons une récolte de fruits. Pour le reste, noisetiers sauvages, aulnes, frênes, charmes, chênes, fusains, cornouiller, … bref la forêt de chez nous se reconstitue sur quatre rangées d’arbres et arbustes dont un tiers de persistants et de nombreux fixateurs d’azote.

En se projetant un peu, voici ce que cela pourrait donner dans quelques années.

Jardin-Forêt du Chambon – Jean-Louis Fromentière – 2020

 

3 – Ce que nous attendons de ces jardins : être plus résilient !

La résilience d’un lieu suppose l’autonomie alimentaire, la conservation de la fertilité naturelle, une bonne gestion de l’eau, la capacité à faire face aux aléas climatiques et bien d’autres éléments favorables à l’adaptabilité. C’est donc la recherche de cet ensemble qui en a guidé la conception.

Autonomie alimentaire

Actuellement les légumes du jardin nous rendent complètement autonomes et nous ne devrions plus acheter de fruit assez rapidement. Cette production ne cesse de croître d’année en année sans forcement plus de travail. Par ailleurs les poules, canards et poulets sont notre principale source de viande et d’oeufs.

Nos déchets végétaux retournent au poulailler et les volailles nous amènent un fertilisant intéressant.
Le défi de l’autonomie alimentaire n’est que partiellement relevé mais nous sommes sur la bonne voie.

Fertilité du lieu

Pour maintenir la fertilité il faut favoriser le retour de la matière organique sur place pour limiter les apports extérieurs. Pour cela nous paillons grâce à des déchets du jardin et des tailles. Le foin, assez abondant, est laissé sur les espaces de prairie ou récupéré pour pailler les arbres et une partie du potager. Pour l’instant un voisin nous fournit la paille qui nous manque mais notre sol s’améliore progressivement et l’ensemble des jardins semblent de plus en plus vivants.

Nous compostons des déchets. Cette matière fine nous sert pour préparer le sol avant les semis de très petites graines.
Les jardins-forêts produiront naturellement leurs matières organiques en déposant leurs feuilles mortes sur la strate basse en hiver. Ce paillage naturel et créateur d’humus doit favoriser la fertilité naturelle du jardin. Il s’agit exactement de reproduire les mécanismes qui font des forêts des lieux de grande fertilité naturelle et les espaces actuellement les plus résilients face aux aléas du climat.
Enfin les lisières sont nombreuses du fait des différents milieux qui se développent dans chaque zone. Une lisière est une zone de contact entre différents milieux. Il a été démontré que les lisières sont les lieux les plus fertiles.

L’eau

La présence de la rivière ne nous a pas vraiment incités à travailler réellement la question de l’eau dans un premier temps mais les évolutions climatiques et les sécheresses qui s’en suivent changent la donne. Nous avons donc creusé une mare et réfléchissons à conduire les eaux de pluie des toitures vers le jardin et la mare qui se succèdent sur une pente douce.

De plus, la couverture permanente du sol et l’acclimatation des variétés de légumes permettent de limiter vraiment les arrosages.
Enfin la croissance du jardin-forêt et des forêts-jardins produira de la fraîcheur par une évapotranspiration favorable à la création d’un microclimat. Théoriquement cela devrait réduire les besoins en arrosage. Cependant les arbres absorbent l’eau des nappes qui arrivent actuellement dans la rivière.

Le microclimat

La présence des arbres et de la mare devrait réguler progressivement les écarts de températures en modifiant les caractéristiques climatiques du lieu. Nous pourrions en théorie gagner au moins une zone climatique et passer du climat d’Aurillac à celui de Bordeaux dans les endroits les plus protégés.

La haie-coupe vent limitera le froid l’hiver et l’assèchement l’été. La mare et le jardin-forêt doivent aussi participer au microclimat en réduisant l’influence du vent à l’ouest et de la rivière au nord. Les arbres du centre de la forêt, les plus fragiles seront donc protégés de ces aléas climatiques.
Globalement, l’évapotranspiration des arbres rendra l’ensemble plus tempéré en toutes saisons.
Encore une fois, nous suivons le modèle de la forêt. Qui ne s’est pas promené en forêt durant une canicule et n’a pas constaté que cet endroit reste frais, vivant et vivable ? Cela sans compter l’absorption du CO2 réalisée par la forêt qui en fait non seulement un espace résilient et agréable mais aussi un élément de solution face au réchauffement climatique.

Enfin nous avons la chance de vivre en bord de rivière très boisé et, lors des canicules de ces dernières années, les oiseaux et animaux de toutes sortes y trouvent refuge. Nous même avons trouvé refuge au bord de l’eau ne pouvant plus supporter les chaleurs sinon enfermés dans le noir à l’intérieur de la maison. Encore une fois, le sous bois en lisière de rivière était le lieu le plus vivant et le plus résilient.

Diversité et résilience

Tous ces éléments conduisent à un facteur central pour la résilience. Il s’agit de la diversité dans tous les domaines : végétale, animale, climatique …

Par exemple, la diversité des légumes cultivés nous garantit une récolte suffisante chaque année. Cela pourrait aussi être vrai pour tout projet agricole : il est intéressant de voir la polyculture comme une forme de diversification des risques qui assure des revenus au paysan quels que soient les aléas.

De même la diversité des sources de fertilité assure elle aussi une continuité dans le service. La diversité des sources d‘eau nous permet de faire face de plusieurs façons à une éventuelle sécheresse. La diversité des microclimats crée des effets de lisière un peu partout et garantit de ce fait la diversité végétale, animale … Nous pourrions ainsi multiplier les exemples et les étendre à de nombreux domaines.