1 – Les légumes perpétuels : quesaco ?
Les légumes perpétuels n’existent pas !
En tous cas, pas au niveau botanique. Les légumes perpétuels comprennent des fruits comme les courges perpétuelles par exemple ; ils ne correspondent pas non plus uniquement à la notion de plante vivace car on peut aussi considérer que les légumes qui survivent et se reproduisent par leurs graines, leurs bulbes ou leurs tubercules sont perpétuels.
On peut donc dire que c’est plutôt leur mode de culture qui les définit : les légumes perpétuels recouvrent en fait tous les légumes qui restent en place sans intervention humaine.
Mais même dans ce sens, il est difficile d’en cerner les contours : la plupart des légumes pourraient être perpétuels en fait. Quel jardinier n’a pas vu ses salades montées en graine se ressemer spontanément ? Plus fréquent encore : combien de fois doit-on courir après les doryphores qui se multiplient dans les pommes de terre poussant spontanément à l’emplacement de l’année précédente ?
Donc, une même plante peut être considérée comme un légume classique ou comme un légume perpétuel. Cela ouvre d’ailleurs la voie à un vaste domaine d’expérimentations : comment rendre perpétuels les légumes couramment cultivés comme annuels ?
Le mode de culture peut donc relever d’un choix.
Mais pas toujours : certains légumes peuvent être perpétuels ou non en fonction des écosystèmes dans lesquels ils sont cultivés. La tomate par exemple, annuelle sous nos latitudes peut être vivace en climat tropical. Et les exemples sont nombreux. Au jardin-forêt du Chambon, nous travaillons évidemment sur les légumes qui peuvent être perpétuels sous nos climats tempérés (en zone 7b plus précisément).
Et que dire de la notion de “légumes” ?
Une même plante peut être, selon les cultures et les époques, tour à tour considérée comme la base de l’alimentation, comme un aromate ou comme une mauvaise herbe. Pensons à l’amarante, graine sacrée des Aztèques, pourchassée méthodiquement par les jardiniers modernes ; autre exemple plus proche de nous : l’ortie que nous redécouvrons avec plaisir dans la cuisine. Et où classer l’oignon par exemple et de façon générale tous les alliacées utilisés tour à tour comme légumes et comme aromates ?
En fait, de ce point de vue, un légume est défini par son utilisation, à une époque donnée, dans une culture donnée.
Mais doit-on pour autant considérer le tilleul, dont on peut consommer les feuilles en salade, comme un légume ? Cela semble un peu tiré par les cheveux et il paraît logique d’exclure les arbres et la plupart des plantes ligneuses de cette catégorie.
Les légumes perpétuels recouvrent quand même des plantes très différentes qui occupent parfois en même temps différentes strates d’un jardin forêt : le sous-sol (bulbes, rhizomes, racines), le sol (couvre sol, herbacées, petits buissons) et parfois les airs avec les lianes.
On pourrait donc quand même tenter de les définir :
Les légumes perpétuels sont des plantes non ligneuses qui peuvent, dans un écosystème donné, pousser, et se reproduire sans intervention humaine et qui participent à l’alimentation quotidienne d’une population à une époque donnée.
2- Pourquoi des légumes perpétuels
Des légumes bons pour la terre
Les légumes perpétuels, restent en place ou ne demandent que peu d’interventions pour leur survie et leur multiplication.
Ce mode de culture particulier peut être associé à un ensemble de pratiques respectueuses du sol : pas de travail du sol, couverture permanente. Il s’agit de se rapprocher des mécanismes naturels. Ces principes applicables aussi aux légumes classiques sont tout naturellement associés aux légumes perpétuels.
Cela les rend particulièrement adaptés à la culture en jardin-forêt au sein de laquelle ils peuvent s’installer dans la couche basse et profiter de l’énergie solaire qui n’est pas captée au dessus de leur tête.
Leur implantation durable leur permet aussi d’aller puiser les ressources plus profondément dans le sol : ils sont moins sensibles aux périodes de sécheresse par exemple et ont moins besoin d’apports extérieurs.
Ils sont aussi en général moins sensibles aux maladies. Cela vient souvent du fait que ces légumes ayant été délaissés dans le passé, n’ont pas connu le mécanisme de sélection de nos légumes potagers. Ce mécanisme qui rend ces derniers souvent plus productifs, les rend aussi plus fragiles.
En témoigne l’histoire de la pomme de terre. Introduite sur le vieux continent au 16ème siècle, sa culture se généralise entre le 18ème et le 19ème siècle. Le lent processus de sélection qu’elle connut, s’il permit d’améliorer son rendement, la rendit sensible au mildiou. Cette fragilité fut à l’origine d’une famine au milieu du 19ème siècle en Irlande, les traitements au cuivre n’existant pas encore. L’oca du Pérou, cousin de notre pomme de terre, fut alors cultivé pour remédier à la famine pendant un moment.
Aujourd’hui encore, l’oca du Pérou, comme beaucoup de légumes perpétuels, ne connaît ni ravageur, ni maladie sous nos latitudes.
Voilà pour leurs avantages évidents.
Mais leur intérêt ne s’arrête pas là et même leurs apparentes faiblesses peuvent constituer une force.
Les légumes perpétuels sont cultivés longtemps au même endroit ce qui en théorie pourrait engendrer des risques de perte de fertilité ou d’apparition de maladies. Les hommes, millénaire après millénaire ont mis au point la technique de rotation des cultures, en tous cas dans notre partie du monde. Cette rotation est sensée éviter l’appauvrissement des sols et la propagation des maladies et des ravageurs.
Cependant, la nature, et d’autres civilisations, nous montrent une voie différente : si l’on veut cultiver la même plante toujours au même endroit, il faut qu’à cet endroit pousse un grand nombre de plantes. On peut donc remplacer la rotation des cultures par la diversification. C’est en tous cas une piste empruntée aujourd’hui par de nombreux expérimentateurs.
Cette diversification peut aussi s’appeler “association” de cultures. Dans les deux cas, le système gagne en biodiversité, fondement de très nombreux services écosystémiques.
Envisagée au sein d’un jardin-forêt, cette complexification des interactions écosystémiques permettrait aussi de répondre à l’un des casses-têtes posés par les cultures potagères : comment faire en sorte que les systèmes de culture soit autonomes en intrants ? En particulier en ce qui concerne la fertilité ?
Le problème des légumes, par rapport aux céréales par exemple, est que leur culture est très déficitaire en matière organique : par exemple, les choux, une fois ramassés, ne laissent que très peu de matière organique pour assurer la fertilité à long terme. Les solutions trouvées jusqu’ici consistent à réaliser des apports de matière organique : sous forme de compost, de fumier ou plus simplement de paille ou de foin. Parfois une partie de cette matière est produite sur place, par la culture d’engrais verts par exemple, mais il est très difficile d’assurer la totalité des besoins au sein du système.
Ce n’est pas forcément très grave : on peut tout à fait cultiver des légumes perpétuels dans un contexte classique en leur apportant les ressources nécessaires sous forme de compost ou de paille par exemple.
Mais la culture en jardin-forêt permet d’entrevoir une autre piste : faire en sorte que l’écosystème produise lui-même sa fertilité. Il s’agit tout simplement de reproduire ce que fait la nature. Dans ce cas, les arbres, les buissons, les herbes et les légumes participent à la fertilité de l’ensemble. Qui d’autre qu’une forêt, championne dans la production de biomasse, sous nos latitudes, pourrait fournir une telle fertilité, “gratuitement” et sans effort ?
Des légumes bons pour les hommes
Les légumes perpétuels permettent évidemment d’économiser de la peine et des efforts. Ce n’est déjà pas si mal !
Ils présentent aussi des qualités nutritionnelles hors du commun. Il faudrait réaliser des recherches précises sur le sujet mais on peut facilement identifier plusieurs raisons.
Comme pour les vignes produisant du bon vin, ces légumes vont chercher profondément dans le sol les éléments que leurs cousins “civilisés” n’ont jamais le temps d’atteindre.
Ayant subi moins de sélection variétale, ils sont souvent moins “productifs” : là encore leur faiblesse apparente constitue en fait leur force. Il est admis aujourd’hui que l’augmentation de productivité est toujours réalisée au prix d’une perte des qualités nutritionnelles. C’est ce que l’on appelle le phénomène de “dilution”. Pour faire simple, il est vain de vouloir récolter 4kg de pomme de terre plutôt que 2kg quand ces 2kg amènent autant en terme nutritionnel que les 4kg produits à grand renfort d’eau et de traitements.
On voit bien par contre l’intérêt économique à en récolter 4kg. Mais de ce point de vue là aussi, il n’est pas dit que ce soient les légumes perpétuels qui perdent : leur culture demande moins de travail, moins d’énergie et d’intrants de toute sorte ; il n’est pas nécessaire de racheter, année après année des graines ou des plants. Faire un bilan économique de telles cultures est là encore une piste de recherche très stimulante.
D’un point de vue économique encore, la culture des légumes perpétuels, nécessairement diversifiée nous l’avons vu, pourrait aussi assurer une forme de sécurité au paysan. Il est difficile aujourd’hui de faire accepter à un producteur de choux de ne pas les traiter au risque de les voir disparaître, dévorés pas les altises. Mais si, pour ce producteur, les choux ne représentaient qu’une petite part de ses revenus, il pourrait se permettre de laisser faire la nature, qui le lui rendra bien sans doute. Car la biodiversité et les interactions naturelles ont fait leur preuve sur une échelle de temps beaucoup plus longue que les pratiques humaines. Il faut juste que notre système puisse nous permettre de faire confiance à ses interactions : la diversification des cultures et la biodiversité sont des pistes très sérieuses pour assurer la sécurité alimentaire et économique.
Prenons un peu de hauteur enfin et plongeons-nous dans une forêt comestible, riche de centaines de variétés et de millions d’auxiliaires, insectes, oiseaux, de réseaux mycéliens … Forêt dans laquelle les mécanismes naturels ont le temps de s’épanouir et leur complexité de très largement dépasser notre entendement. Cette plongée au coeur de la nature n’est-elle pas, en soi, ce qu’un tel système peut apporter de plus important à l’homme qui s’en nourrit ?
3- Les légumes perpétuels, pourquoi pas ?
Bon ok ! Ils sont extraordinaires ! Ils sont bons pour la terre, les animaux de tous types dont les hommes, l’air que nous respirons, pour l’univers … 🙂 Mais pourquoi, alors, n’envahissent-ils pas nos jardins et les étales de nos marchés ?
La réponse à cette question n’est pas évidente. Les pistes qui suivent constituent autant de programmes de recherches et d’actions.
Il faut bien reconnaître qu’ils sont peu connus voire pas connus du tout. Le terme même de légumes perpétuels est peu utilisé. On peut sans doute envisager des raisons historiques qui ont fait qu’à un moment donné, une forme de culture et des variétés spécifiques de légumes ont pris le dessus sur d’autres.
Certaines de ces raisons sont assez facilement identifiables : course au rendement, recherche de conditions de culture facilement reproductibles et mécanisables, privatisation des graines et des plantes, nécessité de produire des légumes “parfaits” en apparence …
Ces raisons ont-elles disparue ? Comment modifier ces conditions ?
Peut-on voir dans le désir de retour à la campagne, l’essor du phénomène de jardin-forêt, les aspirations à une plus grande prise en compte de l’environnement, des signes que le temps d’une autre agriculture est arrivé ? Une agriculture dans laquelle les légumes perpétuels auraient leur place ?
Admettons ! Mais même dans ce cas là, il resterait un long chemin à parcourir. Il ne suffit pas de les vouloir en théorie, il faut aussi les trouver, savoir les multiplier, les cultiver, les récolter, transformer des légumes “classiques” en perpétuels, les associer dans un contexte de jardin-forêt … Vaste programme.
Il faut aussi savoir les utiliser : les cuisiner et apprendre à apprécier leurs goûts, les transformer, les conserver.
Il faut enfin valoriser socialement et économiquement leurs caractéristiques : valoriser le fait qu’ils ne soient pas aussi homogènes que nos légumes classiques par exemple ; valoriser et prendre en compte leurs caractéristiques nutritionnelles ; valoriser économiquement leurs conditions de culture et leurs apports écosystémiques.
Finalement, il faudrait inventer la société qui irait avec ces légumes : n’est-ce pas un programme captivant ?
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